La Dramaturgie d’Yves Lavandier : un incontournable [chronique]

la Dramaturgie ou l'art du récit par Yves Lavandier , méthode d'écriture pour les apprentis scénaristesA mon avis, un incontournable pour tous les auteurs de fiction, qu’ils soient écrivains ou scénaristes… Yves Lavandier a changé ma compréhension de la construction et des mécanismes du récit grâce à « La Dramaturgie » (voir Amazon ou le site de l’auteur).

Aucune chronique ne remplacera la lecture de l’ouvrage tant il est riche et regorge d’exemples. Aussi, après une présentation générale de la structure en 3 actes, je vais parler de 4 points qui ont vraiment transformé mon travail : conflit, caractérisation, tressage et humour.

Ce livre n’est pas vraiment une méthode, mais plutôt un catalogue commenté de tous les mécanismes qui rendent savoureux un récit structuré en 3 actes, du global vers le détail, ainsi que dans l’ordre chronologique où ils interviennent. Il offre une excellente vue d’ensemble sur la façon de structurer une intrigue et sur tout ce qui peut l’enrichir et faire que le lecteur vive un « wow feeling » comme disent les Américains 🙂

Yves Lavandier explicite son propos avec beaucoup d’exemples, de contre-exemples et indique aussi de quelle manière on peut jouer avec ces mécanismes et pourquoi certains nœuds dramatiques sont facultatifs selon lui (climax médian, 2e incident déclencheur, 2e climax…).

Si vous cherchez une méthode d’écriture, avec une démarche à suivre étape par étape pour créer une histoire, vous serez sans doute plus intéressé par l’autre livre d’Yves Lavandier : « Construire un Récit » qui s’appuie sur les mécanismes de « La Dramaturgie » et balise le récit avec des jalons.

la dramaturgie l'art du récit Yves Lavandier, manuel pour les auteurs, scénaristes, écrivains

Voici ce qu’il y a au sommaire de « La Dramaturgie » :

PARTIE I. Les mécanismes fondamentaux
1. Conflit et émotion
2. Protagoniste – objectif
3. Obstacles
4. Caractérisation

PARTIE II. Les mécanismes structurels
5. Structure
6. Unité
7. Préparation, langage et créativité
8. Ironie dramatique
9. Comédie
10. Développement

PARTIE III. Les mécanismes locaux
11. Exposition
12. Activité
13. Dialogue
14. Effet

ANNEXES
15. Dramaturgie et littérature
16. La dramaturgie pour enfants
17. Le court métrage
18. Le documentaire

La structure en 3 actes VS la méthode de John Truby

Yves Lavandier conçoit que n’importe quelle histoire peut être découpée en 3 actes : avant, pendant et après l’action (cliquer sur le schéma ci-dessous pour l’agrandir).

ACTE 1 : avant que soit formulé clairement l’objectif du protagoniste, suite à un incident déclencheur (ID1), et que le lecteur se pose la « question dramatique » => le protagoniste va-t-il atteindre son objectif ?

ACTE 2 : toutes les étapes mises en œuvre pour atteindre l’objectif. Assez vite, le protagoniste peut franchir un point de non-retour, après lequel rien ne sera plus jamais pareil. Cette quête peut être marquée par un climax médian, évènement majeur qui donne une autre tonalité à la 2e moitié de cet acte (ex : préparer l’évasion en prison, puis réussir à ne pas être repris une fois dehors). L’acte 2 doit suivre une évolution logique et ne pas se contenter d’être une succession de sketches indépendants. La difficulté des obstacles va crescendo et se solde par un climax = le nœud dramatique le plus important, l’obstacle le plus difficile. Le lecteur découvre alors la « réponse dramatique » => le protagoniste a atteint son objectif ou non.

ACTE 3 : les conséquences de la réussite ou de l’échec de l’objectif. Cet acte peut être très court ou présenter une structure enrichie avec un coup de théâtre (2e incident déclencheur) suivi d’un 2e climax qui peut apporter une « réponse dramatique » identique ou contraire à la 1ère. Ainsi, en cas de structure enrichie, l’acte 3 est lui aussi découpé en 3 actes.

La Dramaturgie structure enrichie en 3 actes d'Yves Lavandier : mécanismes et construction du récit
En bleu, les nœuds dramatiques indispensables. En orange, les nœuds dramatiques optionnels.

Dans son livre « L’Anatomie du Scénario », John Truby taxe cette approche de simpliste, lui préférant une construction des histoires selon 22 étapes structurelles, dont 7 principales. Pour plus d’informations sur ce modèle, vous pouvez consulter ma chronique.

Selon moi, cette opposition n’en est pas vraiment une… Héhé, j’assume le risque de faire hurler des gens 😉 Je pense que les étapes structurelles de John Truby peuvent parfaitement se fondre dans la structure en 3 actes d’Yves Lavandier. Elles peuvent même correspondre à certains nœuds dramatiques : la routine de vie = une partie du 1er acte ; l’apparente défaite = le climax médian ; l’affrontement final avec l’Adversaire = le climax 1 ; le choix moral = le climax 2 ; le nouvel équilibre = l’acte 3 ou, en cas de structure enrichie, l’acte 3 de l’acte 3… Et on ajoutera où l’on veut les fourches caudines, le spectre, etc.

Là où les 2 auteurs se rejoignent, c’est lorsqu’ils conseillent de construire chaque chapitre en suivant le même modèle que pour l’histoire globale : en 3 actes ou en 7 étapes structurelles. Concevoir les chapitres et chacune des scènes qui les composent comme des mini-histoires est un moyen très sûr de maintenir le lecteur en haleine et de réfléchir au bien-fondé de chaque élément.

=> Notons que pour Yves Lavandier, l’incident déclencheur et le climax d’un chapitre peuvent être respectivement le climax du chapitre précédent et l’incident déclencheur du chapitre suivant. Ainsi les chapitres sont bien imbriqués 🙂

Après ces quelques explications sur la structure en 3 actes (le livre regorge de mécanismes supplémentaires : annonce, fausse-piste, paiement, triade… pour n’en citer que quelques uns), passons maintenant aux 4 enseignements que j’ai retirés de « La Dramaturgie » :

1. Le conflit comme moteur du récit

Tout au long de son ouvrage, Yves Lavandier a un maître mot : le conflit. Et pas seulement le conflit physique (qui serait le type de situation le moins subtil), mais aussi les conflits émotionnels et les situations problématiques qui tombent sur le personnage. Ou, mieux encore, les problèmes qu’il provoque lui-même à cause de ses défauts 🙂 (ses faiblesses, dirait John Truby).

C’est le nerf de la guerre pour les auteurs, car c’est le conflit qui captive le lecteur ou le téléspectateur qui va alors se demander comment le protagoniste réussira à s’en sortir (même s’il ne l’apprécie pas et ne partage pas ses valeurs). C’est notamment grâce au conflit qu’on s’identifie plus ou moins fortement au(x) personnage(s).

Très clairement, avant, je ne mettais pas assez de conflit dans mes histoires et certaines (beaucoup ?) de mes scènes devaient manquer de piment. Pour reprendre une idée d’Orson Scott Card : il faut chercher comment la situation peut mal tourner. Ou pour paraphraser Fred Godefroy : de quelle manière le pire peut arriver.

Une grande découverte pour moi a été le concept d’ironie dramatique. Intuitivement, je l’avais déjà identifiée comme un mécanisme qui rend le récit savoureux, mais le fait que ce soit clairement énoncé et illustré d’exemples m’a vraiment fait du bien ! En fait, il s’agit d’une situation où au moins un personnage ignore une information QUE LE LECTEUR CONNAÎT. Certains personnages peuvent également être au courant, mais pas forcément.

Le personnage ignorant est donc la victime de l’ironie dramatique et il y aura bien un moment où il devra apprendre ce qu’il ne savait pas. Vous pensez à certaines scènes mémorables ?!
Allez au hasard : un film qui est construit entièrement sur ce principe est « Le Dîner de Cons » où Mr Pignon n’apprend qu’à la fin pourquoi on l’a vraiment invité. L’ironie dramatique est un stratagème idéal pour ajouter du conflit, de l’humour et faire participer le lecteur !

2. La caractérisation des protagonistes

Ça aussi, c’est un sacré morceau… En gros, au lieu d’écrire en long et en large que « Untel est comme ça », Yves Lavandier affirme qu’il vaut mieux le montrer au travers d’une mise en scène (de préférence conflictuelle !). L’action prouvera au lecteur bien mieux qu’un long discours comment est le personnage. Et il s’en rappellera vraiment car ce sera quelque chose qu’il aura « vécu » en lisant le livre.

Rien de pire, ajoute Lavandier, que ces portraits d’un héros ou d’un méchant qu’un personnage brosse au début d’un film en lisant son dossier ou son casier judiciaire. Généralement, la minute d’après, on a oublié tous les détails.

Selon les théories d’Edgar Dale, après 2 semaines (mais ça vaut sûrement aussi après 200 pages), on retiendrait 10% de ce qu’on lit, mais 90% de ce que l’on vit, peu importe qu’il ait été simulé. Il n’y a donc pas de mystère si on veut frapper l’imaginaire de notre lecteur avec une caractérisation forte du protagoniste de notre histoire : il faut le présenter au travers d’actions. Par exemple, au début, dans l’acte 1, on peut le montrer dans sa routine de vie lorsqu’il est confronté à de menus conflits. La façon dont il se comporte l’emportera sur de longs discours (et fera économiser de l’encre !).

3. Le tressage des scènes

Dans mes premières tentatives de romans, j’avais une tendance à créer des intrigues un peu trop linéaires : un problème inattendu, une solution, puis un autre problème sans rapport avec le 1er et une autre solution, etc. Je n’exagèrerais pas beaucoup en disant que c’était comme une série de sketches indépendants les uns des autres. Alors qu’on peut annoncer une possibilité de problème dans la scène 1, ne le déclencher qu’à la scène 5 et le résoudre à la 10, parmi plusieurs autres problèmes et résolutions entremêlés, les solutions générant de nouveaux problèmes… Vous me suivez ? 😉

Pour illustrer ce principe d’annonce des problèmes, Yves Lavandier cite la loi dite du fusil de Tchekhov : si vous montrez un fusil posé sur une cheminée, le lecteur va s’attendre à ce que cette arme serve dans la suite du récit. Si vous ne le faites pas, il risque de se sentir trahi. Ainsi, tout ce qui est montré doit servir ou peut servir à créer une fausse-piste pour faire surgir le problème ou sa résolution d’une façon inattendue.

On peut aller plus loin qu’annoncer des possibilités de problème, on peut les préparer ! Tout ce qui précède dans le récit peut contribuer à rendre logique l’arrivée du problème (et de sa solution), de par l’enchaînement des situations et la psychologie des personnages.

Certains auteurs s’amusent à semer beaucoup de fausses-pistes (cocktail annonces + préparations) pour augmenter le suspense et jouer avec les nerfs du lecteur ou du spectateur. Là, je pense très clairement à « The Walking Dead » dans les moments où tout semble bien se passer… On se demande alors de quel côté va venir le problème, quel est l’élément qui va tout faire déraper. Ou quel ensemble d’éléments tressés les uns avec les autres, qui parfois provoquent une réaction en chaîne ! Au final, le scénariste n’utilise pas forcément toutes les pistes semées, mais ce n’est pas grave si le conflit est au rendez-vous.

Corollaire : tout problème peut (doit ?) être annoncé et/ou préparé en amont. De même : tout moyen d’atteindre la résolution peut (doit ?) être annoncé/préparé en amont.

4. La Dramaturgie, c’est aussi l’humour

La clé de l’humour et du rire, c’est le sentiment qu’il y a un décalage. Je n’avais jamais vu cela sous cet angle, mais ça a vraiment éclairé ma lanterne.

  • Décalage entre l’intention avant l’action et le résultat de cette action. Typiquement : les chutes, les gaffes…
  • Décalage entre les représentations de 2 personnages qui parlent d’une même chose. Typiquement : les imbroglios ou les cas où quelqu’un prend les choses avec gravité et l’autre est tout content ou naïf.
  • Décalage entre une certaine « normalité » et ce qui s’est vraiment passé (voir par exemple les illustrations de Dan Piraro  🙂 ).

L’humour peut être source de conflit. A ce titre, il peut donc faire avancer l’intrigue (ou juste faire plaisir au lecteur).

Et vous, qu’avez-vous retenu de La Dramaturgie et en quoi ce livre a changé votre pratique de l’écriture ?

PS : voici aussi une série de questions-réponses très intéressante avec Yves Lavandier.

9 réflexions au sujet de “La Dramaturgie d’Yves Lavandier : un incontournable [chronique]”

  1. Excellent résumé. Ca donne envie ! (sauf que je l’ai déjà lu, hi, hi) . Perso, j’ai adoré les chapitres sur la structure, la préparation, l’ironie dramatique et la comédie. J’y ai trouvé mille pépites. Vous avez raison, la méthode se trouve dans « Construire un récit » plutôt que dans « La dramaturgie », même si les deux lectures sont passionnantes. A signaler que les livres sont meilleur marché sur le site de l’auteur (clown et enfant) que sur amazon.

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    • Bonjour Carole et merci pour votre commentaire 🙂
      Effectivement, mille pépites dans ce livre qu’il est sûrement bon de relire 1 ou 2 ans plus tard, quand on a progressé et que de nouvelles choses peuvent nous apparaître.
      J’ai également lu « Évaluer un Scénario », très intéressant pour le regard que des décideurs peuvent porter sur notre travail.

      Les prix sur Amazon sont très chers pour les anciennes éditions de « La Dramaturgie ». Certains vendeurs font même de la spéculation sur ce genre d’ouvrages à succès : ils en achètent plusieurs et les revendent quelques années après, quand l’édition est épuisée. Pour la dernière version, la 6e, celle de 2014, je viens de voir qu’elle était également en rupture de stock (ce n’était pas le cas il y a un peu plus d’un an quand je me suis procuré mon exemplaire). C’est ce qui explique qu’il y ait un tel écart de prix entre Amazon et le site de l’auteur. Même les « neufs » sont à 90 euros…
      Il y a donc tout intérêt à passer par le site de l’auteur, d’autant plus que l’argent va directement rétribuer Yves Lavandier pour son travail.

      A bientôt,
      Jérémie

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  2. Très intéressant tout ça ! 🙂
    En voyant le schéma des 3 actes, je pense m’en être bien sorti dans mon roman (mais encore faut-il que le contenu soit bon :p ).

    En tout cas, ton article m’a donné envie de me le procurer 🙂

    J’ai lu dans ta newsletter que ton roman avançait bien, j’espère qu’il est à la hauteur de tes espérances ! Bon courage à toi !

    Denis

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    • Hello Denis !
      Cool si tu penses que ton roman est bien structuré (de toute façon, la structure de base est assez intuitive et je l’ai maintes fois constaté avec les maternels que j’avais il y a quelques années : un problème arrive, on résout le problème, et on est content ou non après ^^). Après, comme tu le soulignes à juste titre, il y a le contenu : le style, les conflits, les personnages, les dialogues, les rebondissements entre l’incident déclencheur et le climax… et la possibilité d’enrichir la structure avec un coup de théâtre et un second climax. Je suis sûr que « La Dramaturgie » te donnera plein de pistes pour développer davantage cet art (ou artisanat ?) qu’est l’écriture 😉

      Quant à mon roman… je crois pour l’instant qu’il est un peu inégal. J’ai noté dans un fichier à part beaucoup d’éléments à corriger, repréciser, développer lorsque j’aurai fini le 1er jet (parce que si je commence maintenant, je risque de ne jamais m’en sortir). De plus, la bêta-lecture passera par là.
      Et je m’aperçois aussi que, malgré un synopsis de travail très détaillé avant de commencer, il y a toujours des passages où je n’ai franchement pas pensé à tout (à tous les problèmes concrets et pratico-pratiques que rencontrent mes personnages, surtout). Je me retrouve donc à improviser avec plus ou moins de bonheur 🙂 Mais dans l’ensemble, pour un premier roman, je crois que je m’en sors pas trop mal et surtout, je m’amuse ! (enfin, techniquement, c’est mon 2e roman : le 1er est écrit mais pas corrigé).
      A bientôt,
      Jérémie

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  3. Jérémie, une fois encore je me régale à te lire.
    Je découvre la série des vidéos d’Yves Lavandier, je t’en remercie.
    Elles sont courtes, efficaces, passionnantes.
    Je viens de commander un exemplaire de « La Dramaturgie », j’attendais de le trouver à d’autres prix que 80 ou 150 € lol.
    Sur Priceminister, miracle, un exemplaire de 2014 (6e édition) est à 18 €.
    Très intéressant, l’ironie dramatique. Je la connaissais sans la nommer. Ce sont toutes ces petites choses qui font d’excellents récits… Tout l’art des techniques narratives…

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    • Hello Marjorie,
      Merci pour ton commentaire ! Content que tu aies pu découvrir les vidéos d’Yves Lavandier et trouver un exemplaire de La Dramaturgie à un prix abordable 🙂
      Quant à l’ironie dramatique, ce procédé a vraiment le don de faire frissonner et craindre le moment de la révélation XD (quand il est bien mené d’ailleurs tu trouveras sûrement d’excellentes clés dans le livre).
      A bientôt !
      Jérémie

      PS : prochain article : un tuto vidéo sur la publication sur CreateSpace (si je m’en sors avec le montage).

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  4. Jérémie, je découvre ton article aujourd’hui…
    Je ne vais rien apprendre à personne, je ne peux que confirmer tout ce qui est dit ici : ces deux ouvrages sont également mes outils de référence, loin devant les autres que j’ai pu lire. C’est le genre de lecture qu’on fait… et qui change tout !
    A propos du désaccord entre Lavandier et Truby au sujet des « 3 actes », je suis d’accord avec toi Jérémie et je vais même plus loin : ce « désaccord » est une vaste fumisterie, ils disent tous les deux la même chose (pour peu qu’on s’intéresse au fond, bien sûr) !
    Voilà, pas de scoop, j’avais prévenu : je voulais juste dire que cet article est chouette 😉
    Merci Jérémie pour ce partage, à la prochaine !

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    • Salut Xavier,
      Merci pour ton commentaire 😉 Oui, on peut se dire que finalement, cette opposition est une façon de créer du débat et de faire parler des auteurs.
      A bientôt, les prochains articles et publications seront pour fin septembre !
      Jérémie

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